Le rôle de la femme en Inde

Publié le par Clémence

Guide du routard Inde du Nord, p 143.

 

« Etre femme en Inde aujourd'hui recouvre bien des réalités différentes. Entre la jeune citadine issue d'une haute caste et l'intouchable des villages de l'Andra Pradesh, rien de comparable, à première vue. Et pourtant … Si l'on s'en tient à la tradition patriarcale, toutes les deux n'auront d'existence réelle au cours de leur vie qu'au travers des hommes de leur famille: le père d'abord, le mari (et la belle-mère toute-puissante) ensuite, enfin le fils (théoriquement) si elles se retrouvent veuves. Toutes deux sont presque assurées de se marier traditionnellement, sans avoir forcément rencontré leur futur époux avant le jour de la cérémonie. Toutes deux, en fait, dépendent du bon vouloir de la famille et de la société pour devenir des individus à part entière. Car entre le poids de la tradition et les contingences économiques, la femme indienne a bien des obstacles à combattre pour se faire sa place.

La jeune citadine, si elle est issue de la classe aisée, a plus de chances de fréquenter une université. Mais dans un pays où l'alphabétisation est encore une lutte quotidienne, les femmes font évidemment partie des exclus de l'enseignement. Les chiffres du recensement de 2001 (le dernier en date) sont éloquents: si 64,1% des garçons sont désormais scolarisés, seuls 39,4% des filles suivent un enseignement régulier. Mais attention, ces indications globales livrées à l'échelle du pays occultent des disparités régionales autrement plus catastrophiques. Le Rajasthan musulman et traditionnel n'ouvre les portes de ses écoles qu'à 20% à peine de ses filles! A l'inverse, plus de 86% de celles du Kerala sont scolarisées normalement. Mais là encore, il faut différencier la ville de la campagne, où les filles quittent rapidement les bancs de l'école pour s'acquitter des travaux des champs...

Pourtant, le problème crucial n'est pas tant l'enseignement ou le mariage arrangé que la déconsidération réelle et profonde, perceptible à différents niveaux, des femmes depuis leur naissance et de leur rôle dans la société. Avoir une fille est considéré comme une charge financière, en raison des dots qui ont toujours cours, bien qu'interdites officiellement depuis 1961. Les conséquences immédiates dans les familles sont diverses, depuis l'infanticide (ou l'avortement tardif, une fois déterminé le sexe féminin de l'enfant à venir), à la vente à des agences d'adoption, en passant par les mauvais traitements, la malnutrition, etc., au sein même des familles. En un mot comme en mille, avoir une fille est considérée comme un mauvais investissement: d'une part, sa dot coûtera très cher (la famille s'endettera parfois à vie pour la payer) et, d'autre part, elle ne rapportera rien à ses parents puisque, une fois mariée, c'est sa belle-famille qui aura sur elle tous les droits. Un vieux dicton ne dit-il pas qu' « élever une fille, c'est comme arroser le jardin des voisins »? Donc, autant qu'elle rende service tant qu'elle est là: tâches ménagères, garde des enfants plus jeunes, petits travaux rémunérateurs (ou, dans le pire des cas, prostitution) seront son lot quotidien, et la prépareront de toute façon à son futur rôle de d'épouse, bien mieux que l'école.

Une fois mariée, elle passe en principe sous l'autorité de son époux et, en pratique, sous celle de sa belle-mère, qui va enfin pouvoir se défouler sur cette nouvelle arrivée de toutes les brimades qu'elle a elle-même endurées. Tous les cas de figures sont possibles, de la violence morale et psychologique à la torture physique, et même jusqu'au meurtre, en particulier lorsque la dot tarde à être réglée (dowry murder). De préférence déguisée en suicide ou en accident domestique (de nombreux saris prennent « malencontreusement » feu dans les cuisines...), cette manière de se débarrasser d'une belle-fille permet en plus au fils d'épouser une autre femme et donc de récupérer une autre dot... Par chance, les médias indiens ont fini par s'émouvoir et, en zone urbaine, le nombre de ces exactions a tendance à régresser. Mais en zone rurale, il est beaucoup plus difficile d'évaluer l'ampleur du phénomène.

Même cas de figure pour la crémation rituelle des veuves (le sati), interdite théoriquement pas les Anglais dès 1829: il y a quelques années, un cas s'est encore produit, et la justice indienne a jugé ce crime en tant que tel. Mais si ces coutumes iniques sont marginales, les conditions de vie des veuves restent problématiques. La femme n'a plus d'existence sociale après la mort de l'époux considéré comme le seul détenteur de l'autorité morale et économique, et est supposée selon la tradition porter malheur à un éventuel prétendant; la veuve est alors fréquemment rejetée par sa famille et par la société. Les fortes pressions familiales et l'absence d'indépendance économique sont également un obstacle quasi insurmontable à toute tentative de divorce. Autorisé depuis 1955, il n'est que très peu appliqué...

Ce qui reste certain, c'est que la femme indienne, même lorsqu'elle a la chance de tomber sur une belle-famille correcte, n'est guère reconnue comme individu. Elle n'a pas droit à la parole, subit souvent des violences conjugales (40% des femmes indiennes selon Amnesty International, soit deux fois plus que la moyenne mondiale), qui vont des coups quotidiens aux viols; elle mange après toute la famille, c'est-à-dire les restes. Elle manque de soins médicaux, d'attention, de respect, en somme. […]

Enfin, s'il fallait encore vous convaincre, l'Inde est quand même un des seuls pays au monde (avec la Chine) à avoir une population masculine plus nombreuse que la population féminine, allant ainsi à l'encontre de toutes les tendances naturellement constatées... On estime qu'il manquerait aujourd'hui 60 millions de femmes en Inde. »

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